Jasmin
Je voyage beaucoup. Pendant un certain temps, je me déplaçais car c'était essentiellement pour des raisons professionnelles. Maintenant que j'ai un emploi sédentaire (j'aime ce mot, il me fait penser à un poireau qui a pris racine), je voyage.
Dans une autre vie, j'enchaînais trains et avions la semaine et ne quittais sous aucun prétexte mon environnement immédiat le week-end (ne serait-ce que pour pouvoir laver mes chaussettes, repasser mes chemises et dormir un peu dans mon lit), maintenant c'est l'inverse. Le week-end ou en congés, V. et moi nous baladons, organisons des petits voyages, ou simplement visitons familles et amis.
Parce qu'à force de bouger tout le temps, à force de changer de ville et de travail tous les trois ans, chacun de notre coté d'abord, puis ensemble maintenant, nous avons semé des amitiés un peu partout, en France, mais aussi un peu à l'étranger. Il y a aussi des lieux importants, ceux que l'on ressent plus qu'on ne les traverse. Des lieux où on a laissé un morceau de son âme, ou à l'inverse, où on l'a retrouvée. Les caps du Pas de Calais face à l'Angleterre, le confluent de la Maine et de la Loire, un petit village du Brionnais, mais aussi Colonia del Sacramento, en Uruguay, dont je pense vous parler un peu plus tard.
Très souvent donc, seul ou avec mon amoureuse, je traverse le pays ou les frontières en TGV ou en avion. L'avion reste quelque chose de magique pour moi, une part de mon enfance qui revit à chaque décollage et perdure bien après l'atterrissage. Le TGV est en revanche un simple moyen de transport pour s'approcher vite de là où l'on va. J'y dors, j'y lis ou j'y écris.
J'étais donc, il y a quelques jours dans un TGV. J'étais seul, et pour une fois, j'avais décroché à la loterie de la réservation un siège sur une rangée de deux au lieu du traditionnel carré à quatre dans lequel je suis infoutu de faire entrer mes gambettes sans un chausse-pied. A coté de moi s'installe une petite demoiselle discrète et souriante qui me souhaite le bonjour. Je contrôle aux alentours : pas d'accro du portable avec sonnerie débile et insupportable, pas de mamie sourde, pas de gamins... C'est vraiment un jour de veine ferroviaire.
Départ du train. Ma voisine est plongée dans un roman policier, moi aussi. Le paysage défile à toute allure derrière la vitre. A ce propos, avez vous déjà essayé de prendre une photo du paysage à 300 km/h ? Ca donne un effet assez irréel. Le premier plan est flou-bougé, l'arrière plan est net. Autre aspect, on ne maîtrise absolument pas le premier plan qui vient s'interposer sans crier gare lorsqu'on déclenche. Mais revenons au voyage.
Comme souvent, je finis par piquer du nez sur mon livre. Les aventures du commissaire Adamsberg ont beau être palpitantes, mes yeux se ferment dans la quiétude du wagon.
C'est dans un demi sommeil que j'ai senti le contact sur mon épaule, et qu'une odeur de jasmin est venue chatouiller mes narines. Entrouvrant les yeux, j'ai découvert la chevelure de ma voisine délicatement posée sur le haut de mon bras. J'avais presque le nez dans ses cheveux.
J'aurais pu la réveiller doucement, mais j'ai préféré la laisser là. Cette intimité délicate était fort agréable et contrastait tant avec la réserve et l'individualisme forcé qu'induit la promiscuité avec des personnes qu'on n'a pas choisi, que j'avais la sensation de vivre quelque chose de rare et de précieux. Un moment d'humanité en quelques sortes.
J'ai choisi de ne pas la réveiller et même de faire le maximum pour que l'appui soit confortable pour elle et j'ai aussi choisi de ne pas faire allusion à sa sieste lorsqu'elle s'éveilla. Le train ralentissait, sa respiration accéléra, puis elle redressa la tête, les yeux toujours fermés. Un bâillement, elle s'étire, ouvre les yeux et rencontre mon sourire auquel elle répond, puis nous retournons tous les deux à nos bulles personnelles.
Le train entre en gare.
- Au revoir mademoiselle.
- Au revoir monsieur.