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Décrochage
5 novembre 2004

Premier thé

Le premier réveil est difficile. Je me suis réveillé souvent cette nuit. A chaque fois, un petit moment de stupeur en redécouvrant le paysage sous la lueur blafarde de la lune. La température a baissé, nous en sommes à 22°. Nous bouclons les sacs et allons rejoindre les autres au petit déjeuner. Là encore, nous profitons de ce luxe de boire le café assis sur une dune, face au soleil qui se lève. Nous nous regroupons ensuite pour un briefing axé essentiellment sur la sécurité. Le moindre bobo peut devenir très problématique dans le désert. Nous devons garder les chèches sur la tête ou autour du cou lorsque nous sommes à l'ombre, nous protéger du soleil, rester groupés, boire beaucoup.

Puis nous partons. En silence.

Au bout de 20 minutes, je n'en peux plus. Je crève de chaud, j'ai du mal à respirer, et le stupide vélo s'est remis à tourbillonner dans ma tête. J'essaye de prendre conscience de ce qu'il se passe. Merci. C'est comme d'hab. J'ai les épaules verrouillées, le diaphragme tendu, les abdos bétonnés. Je souffle comme un perdu. Il fait chaud, bon sang qu'il fait chaud !

Il m'a fallu près de deux heures pour me calmer. Pour essayer de me vider le crane, pour me détendre, pour profiter de ces paysages magnifiques. Deux heures où j'ai voyagé du rire hystérique aux larmes, aux colères, à l'abattement. Ca y est, c'est vraiment ça que je suis venu chercher. La paix. LA PAIX !

Dans une autre vie, il y a me semble-t-il quelques siècles, je n'avais pas de projets. Pas d'envies. Pas de plaisir à vivre. J'ai fété mes trente ans en me disant que j'avais parcouru la moitié du chemin. Et ça m'emplissait d'aise. J'avais hâte. Puis un jour je me suis réveillé. Puis un jour j'ai appris à imaginer le bonheur. Puis à force de le poursuivre, je me suis perdu dans une course contre le temps, pour que la barrière ultime soit le plus loin possible. Pour qu'enfin je puisse essayer de faire tout ce que j'ai oublié de faire, avant.

Et j'ai rempli mon avenir de projets, mon quotidien d'objectifs, et ma tête de contraintes. Dans cette autre vie, je m'étais noyé dans mon vide. Dans celle-ci, je me débat dans le trop. Ce trop qui me rempli la tête, qui m'empèche de prendre du plaisir, qui m'empèche de rester assis trois minutes sans rien faire. Ce trop avec derrière lui le spectre de la mort, et le spectre de l'inachevé.

Me retrouver dans ce désert, dans ce vide, avec pour unique but d'arriver à l'étape suivante est insupportable. Ne rien faire d'autre que marcher sans penser (rêve !), sans prendre de photos, sans meubler le silence par des parlottes, écouter seulement le crissement du sable, écouter mon corps qui a chaud, ma godasse droite remplie de sable, mes yeux qui brulent de sueur. Ne pas remplir le vide, ne pas penser à ce que je vais écrire dans ce blog, ni aux photos à scanner, ni à préparer ma polaire pour le retour à Paris, ni aux travaux à faire en revenant. Etre, être juste là, à ce moment là, au milieu de ce désert. Profiter des minutes qui passent, débrancher les neurones.

Un arrêt à l'ombre. C. s'assied. Il n'a pas l'air en forme. Il s'effondre. Nous l'installons à terre, pieds en l'air sur une pile de sacs. Il est encore conscient et présente tous les symptomes d'une hypoglycémie ou d'un malaise vagual. Deux participantes sont infirmières. Elles s'occupent de lui. Il est près de 10h30, et Ahmed conseille au groupe de regagner le campement au plus vite en suivant le chamelier. Lui restera avec C. le temps qu'il récupère. Il est très calme, et nous comprenons que son conseil n'est pas à prendre à la légère. Nous nous éloignons à la suite du chamelier. La chaleur est violente. Une chaleur sèche et une luminosité extrème nous écrase littéralement. J'ai descendu le chèche jusqu'au sourcils et remonté la partie basse en haut du nez. Nous marchons d'un bon pas. Plus question de lézarder.

Arrivé au campement nous nous écroulons sous la tente. Les pans ont été relevés pour laisser passer l'air et évacuer la chaleur. Nous regardons hallucinés les chameliers qui sont installés en plein soleil. Comment font-ils ? Ma montre indique 43,5° à l'ombre. L'eau est brulante dans la gourde, j'ai l'impression de boire l'eau d'un bain. Ahmed et C. arrivent enfin.

L'aide cuisinier nous apporte le thé.

- Ahmed, j'ai entendu dire que si on acceptait le premier thé, il était impoli de refuser les deux suivants, c'est vrai ?

- Non, ce n'est pas impoli, c'est impossible.

- Impossible ?

- Oui, si tu acceptes la vie, tu acceptes la mort et l'amour.

- Comment ça ?

- Le premier thé est amer comme la vie. Le second, doux comme l'amour, le troisième suave comme la mort. Bois ton thé maintenant...

J'ai renversé le fond de thé sur ma langue. Et comme tous, j'ai fait la grimace. C'est vrai qu'il est amer ce premier thé.

 

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