Passera pas l'hiver
Je me souviens de cette phrase que j’entendais,
autrefois, à propos de tel ou tel qui s’amenuisait sur son lit, les yeux dans
le vague, les yeux déjà ailleurs.
Ce n’est pas la fin de Pitch pour autant. Je pense qu’il
continuera à aller hanter vos pages, mon email reste le même.
Je pensais vous livrer une dernière Pitcherie, dans
laquelle il était question de stupidité et de travail qui parfois s’allient
pour nous rendre chèvre, mais peu importe ma foi.
Dans quelques jours ce blog s’autodétruira.
Et c’est ici que je vous dis au revoir, en prenant
conscience à l’instant que dans mes oreilles résonnent le « Pie Jesu »
du requiem de Fauré.
Il n’y a pas de hasard. Jamais.
Amicalement,
Epizootie
Vous l’avez certainement remarqué, mais depuis quelques semaines, la classe politique française s’agite et se trémousse au son de la ritournelle : « moi aussi, moi aussi, je suis candidat à la présidence de la République ». Le dernier recensement dont j’ai pris connaissance parle de 14 candidats. Et ce, plus de dix-huit mois avant l’élection. Si on regarde de plus près, on voit clairement que depuis le début de cette épizootie – euh pardon, de ce phénomène – le nombre de candidats déclarés d’un mois donné est le double du mois précédent. En clair, le premier mois, 2 candidats, le second 4 (2 puissance 2), le troisième 8 (2 puissance 3). C’est ainsi que nous en sommes arrivés à 14.
Si on applique cette progression géométrique sur les dix-huit mois à venir, on atteint alors le chiffre faramineux de 2 puissance 21 candidats qui se déclareront le dernier mois de cette période, soit environ deux millions et cent mille autoproclamations de candidature. J’ai renoncé à faire l’addition de tout cela, tout ce que je peux dire c’est que ça fait beaucoup, et même trop. Voire même beaucoup trop.
Je vous laisse imaginer le nombre de forêts qu’il faudra pour fabriquer le papier nécessaire pour imprimer les affiches, affichettes, prospectus, flyers et autres gracieusetés que vous retrouverez dans vos boites aux lettres. Je vous laisse imaginer les heures d’ennui devant la télé diffusant à longueur de semaine les spots officiels de cinq minutes de chacun des candidats. Je vous laisse imaginer la gueule des bureaux de vote. Je vous laisse imaginer, imaginer, imaginer tout ça...
C’est donc à contre coeur que je dois vous faire part de ma décision. Elle me pèse et j’en suis sûr vous attristera. Mais il ne m’est pas possible de faire autrement : je ne serai pas candidat à la magistrature suprême en 2007.
N’insistez pas, c’est non.
Car en plus des forêts, de la télé et des affiches, il est une image insupportable qui se profile : c’est un second tour Le Pen - Besancenot.
De quoi donner envie d’émigrer fissa en Papouasie non ? Et pourtant, ce n’est pas que du cinéma. Imaginons la scène. Rien que quatorze candidats. Le tandem infernal ci-dessus peut totaliser 35% à eux deux, ce qui laisse 65% à partager entre la droite et la gauche, soit 32 % à diviser en 6 candidats de chaque coté, euh, oui, ça fait un chouille de plus que 5 % par candidat. Donc, Le Pen à 20, Besancenot à 15, les autres à 5, ils dégagent tous, et là pas question d’envoyer des SMS pour dire qu’on veut garder Fabius ou Sarko. C’est pas la Star’Ac.
Alors, alors me direz vous ? Et bien, malgré mon programme en acier inoxydable, la retraite à 45 ans si vous voulez, le SMIC à 4.000 euros, la sécu florissante, la France grandiose, des toits pour les mal nourris, l’essence non polluante à 2 euros les cent litres, la fin de la connerie humaine, la balance commerciale qui arrête de pencher, la réconciliation planétaire et j’en passe... Et bien malgré tout ça, je renonce à me présenter.
Et je vous en conjure, renoncez, vous aussi !
Pas le temps, mais...
Bien, une fois de plus, je manque de temps, mais en ouvrant mes emails ce matin j'ai reçu le texte ci-dessous d'un de mes amis, emmerdeur professionnel de son état. Je vous laisse savourer l'idée, finalement pas mauvaise du tout.
Vous avez bien entendu le droit de recopier et diffuser le contenu du texte ci-dessous. Non, non, je ne vous incite pas... Mais le coup de l'arroseur arrosé me plait beaucoup.
Bonne journée, et à bientôt...
Lorsque
vous recevez de la publicité avec votre facture d'électricité ou de téléphone,
joignez-la avec votre paiement.
Laissez
à la compagnie le soin de s'en débarrasser.
Le
texte original continue par l'habituel "faites suivre ceci à tous vos
amis" et caetera et caetera... qui transforme en hoax une idée sympa.
Si vous ne savez pas ce qu'est un hoax, allez donc voir ici.
Eternité - suite
Et je regarde ma belle endormie.
Elle
a rapproché les deux pans de son gilet léger qui maintenant cachent en
partie une chemise de coupe masculine, col boutonné. Elle porte un
jean, de petites boucles d'oreille discrètes et un sac à main en cuir
beige épais, simple et discret. Ses cheveux sont coiffés en un carré
sage, elle a la trentaine et pas d'alliance. La peau de ses joues et
son cou sont grêlés de petites cicatrices. Les petits cratères
parsèment le bas de son visage jusqu'aux pommettes, laissant la peau
lisse autour de yeux, du nez et sur le front. Restes d'une maladie,
d'un accident ? Je ne sais pas, mais cela ne nuit pas à sa beauté et la
renforce presque.
Tout à l'heure, deux minettes sont venues
s'asseoir de l'autre coté du couloir. Deux minettes apprêtées,
congestionnées dans leurs vêtements trop serrés, portant maquillage,
bracelets, tatouages, tennis à la mode, nombril à l'air. D'un regard
elles ont balayé les environs et se sont arrêtées sur ma belle
endormie. L'une avec un regard dégoûté, l'autre avec un regard de
pitié. C'est à ce moment précis que j'ai compris la beauté de mon
endormie.
L'être et le paraître. A ma gauche, des corps
contraints à ressembler à une image stéréotypée de la beauté. Une
rigueur militaire dans le maquillage, le maintien, la tenue, les
expressions, la démarche. La tragédie du point noir et du kilo en trop.
A ma droite, le plaisir, le lâcher prise, le présent. Et la belle dort,
offrant avec nonchalance son visage abîmé aux regards de ses voisins,
sans même avoir tenté de masquer ses cicatrices sous un fond de teint.
Et elle dort, en souriant.
La présence qui émane d'elle me fait
le plus grand bien. Moi qui en ce moment suis tout sauf centré, moi qui
papillonne d'une activité à l'autre, moi qui tourne et vire en tout
sens à en oublier là où je veux aller, je me sens de nouveau présent
là, maintenant, dans ce wagon, à regarder ma belle endormie. J'ai
plusieurs fois rencontré des êtres comme elle. Des personnes qui par
leur simple présence nous ancrent dans la réalité, la réalité sans
fard, et nous font prendre toute la mesure de la beauté de ce qui nous
entoure une fois débarrassée de l'inutile. Ils n'ont pas besoin d'en
faire des tonnes, n'ont pas besoin de démonstration spectaculaire, de
mode d'emploi. Pas besoin de parler, de gesticuler. Ils sont là, et
cela suffit. Ce sont des anges. Ma voisine est certainement un Ange.
C'est
alors que j'ai pris conscience qu'elle avait ouvert les yeux et me
fixait, de la même manière que je la fixais, sans pudeur, sans sourire,
regard contre regard. J'ai vivement détourné les yeux, comme anxieux
qu'elle ait pu y lire mes dernières pensées. Après tout, les anges sont
certainement télépathes. Mais rapidement, j'ai redécouvert son sourire
accueillant, tranquillisant, comme s'excusant de m'avoir inquiété.
L'instant d'après, elle dort de nouveau.
Le
voyage touche à sa fin. Je reste jusqu'au terminus, à Perrache. La
majorité des occupants du wagon préparent leurs affaires pour descendre
à Part-Dieu. J'aimerais qu'elle reste aussi quelques minutes de plus,
seuls ou presque dans ce train. Elle rouvre
les yeux, regarde sa montre, jette un oeil dehors, puis sur moi, et
sourit de nouveau. Le train s'arrête, elle se lève. Un voyageur la
laisse passer, elle remercie, elle est tout près de moi, elle va passer
dans une seconde. Là, subitement, j'ai envie de lui parler, de la
revoir, de la garder, de descendre avec elle, de la suivre. J'ai les
yeux levés vers elle. Du bout des doigts, elle effleure le haut de mon
épaule, et de sa voix cristalline susurre un " au revoir Pitch " qui me
stupéfie.
J'aurais du réagir tout de suite, là, maintenant il
est trop tard. Le quai s'est vidé, le train va repartir, je ne la
retrouverai plus. J'ai cherché, cherché comment elle avait pu apprendre
mon nom. Je n'ai pas trouvé.
Sauf, sauf qu'elle est peut-être vraiment un Ange.
Eternité
Il était tard après ce week-end éreintant. Trop tard pour prendre un train, et pourtant il fallait bien rentrer. C'était il y a quelques jours, ou quelques semaines, je ne sais plus, tout passe tellement vite. Je suis tellement, tellement, tellement tout le temps à courir partout. J'étais Gare de Lyon, j'allais à Lyon, c'était un dimanche, pas de train avant 21 heures, week-end tuant, mais ça, je l'ai déjà dit.
J'avais tué le temps, à défaut de courir après, en m'enfonçant dans un des fauteuils club du Train Bleu. Ambiance feutrée, sièges moelleux, un roman. De l'autre coté du couloir, un couple se bécotait. Mes paupières se fermaient dans la quiétude du lieu. Non, ne pas m'effondrer, ne pas rater ce train, surtout pas. Mais comment résister, après tant de nuits et si peu de sommeil.
Vingt heures quarante, voie C, le train est annoncé. Vingt heures quarante, encore deux heures quarante avant de pousser la porte de chez moi. Je me traîne voiture 18, tout là-bas tout au bout du second TGV. J'ai l'impression que ce quai n'en fini plus.
Après un temps infini, je m'affale sur mon siège. La Grande Loterie des Billets SNCF m'a attribué une place dans un carré de quatre évidemment, il me sera encore impossible d'étendre mes jambes. Coté couloir, c'est déjà ça, je sortirai mes ripatons si je crampe. J'ai beau être pliable, il y a des limites aux contorsions admissibles. Je vois souvent que rien n'est fait pour les petits, les gauchers, ou les fauteuils roulants, mais rassurez vous, rien non plus n'est fait pour les grands.
Soyez moyens, tout ira bien.
Il y a toujours une poutre trop basse. Pas très basse, non, trop basse. Juste assez haute pour que votre hôte y passe sans s'inquiéter et ne vous entraîne à le suivre sans méfiance. Mais pas assez basse pour qu'elle n'entre dans votre champ de vison. Et c'est du sommet du front généralement que les présentations se font, à pleine vitesse de préférence. Tout est trop bas. Imaginez l'évier. Pour toucher le fond, je me casse en deux. Je m'éborgne aux étagères quand ce n'est pas aux lustres, je m'endoloris les genoux sur le guidon du vélo, j'épouvante mon chat et les enfants en général, je risque le lumbago à chaque baiser avec ma femme. Et j'en passe.
J'ai voulu réagir un jour. Dans ma maison, j'avais posé les étagères à deux mètres dix du sol pour préserver la peau de mon front, le lavabo à un mètre trente pour me brosser les dents sans m'accroupir, le miroir à hauteur de mon visage. Je pouvais ainsi me raser dignement, droit dans mon slip le matin. Ma copine n'aimait pas. Allez savoir pourquoi.
Mais je divague, je digresse, revenons donc notre place de quatre dans le TGV.
Premier dans le wagon. Je m'installe, sors mon bouquin et tend les jambes tant que je peux.
Une voix cristalline me sort de ma lecture : - Excusez moi Monsieur...
- Oh pardon, vous êtes ici peut-être ?
- Non, à coté de vous, mais je vais me mettre là en face, et je bougerai s'il y a du monde...
Je retire mes jambes, elle se glisse sur les sièges en face pour atteindre le coté fenêtre. Pendant qu'elle s'installe je la regarde. Son regard croise le mien, et alors que d'habitude dans ces moments là les yeux s'échappent pour ne pas avoir à soutenir le regard de l'autre, là nous restons à nous regarder et un sourire s'élargit progressivement sur nos visages.
Parfois la Grande Loterie de la SNCF fait bien les choses. Personne d'autre ne viendra s'installer sur ces quatre places.
Le train est enfin parti, et j'ai du mal à accorder toute l'attention requise à mon roman. Souvent je reviens en arrière pour relire un paragraphe tant je peine à me concentrer. Il faut dire que souvent je lève les yeux, je lève les yeux vers cette femme. Elle a fermé les siens et dort, la tête appuyée sur la vitre. Elle dort, et rêve. Parfois de petits tressautements viennent perturber la quiétude de son visage.
Le train file à 300 km/h. Parfois elle se réveille et je sens son regard sur moi. Nouveaux échanges de sourires. Elle se tourne un peu de coté, referme les yeux et se rendort. Je n'ai plus envie de dormir, je ne suis plus fatigué, je ne suis plus grognon. Je veille sur son sommeil, et je me sens bien. Bientôt nous arriverons à Lyon. Bientôt elle descendra et nous nous offrirons un dernier sourire. J'adore ces rencontres éphémères, ces rencontres qui me plongent dans l'éternité de l'instant. Je ne veux pas savoir qui elle est, ni la revoir, ni échanger des banalités avec elle. Je veux qu'elle garde tout son mystère, qu'elle n'existe que pendant ces deux petites heures pendant lesquelles elle donnera à ce voyage un relief extraordinaire, qui longtemps restera dans ma mémoire.
Je la regarde dormir encore un peu. C'est la première fois, oui, la première fois que je rencontre quelqu'un qui sourit d'une aussi belle manière. D'un sourire chaud, d'un sourire franc, d'un sourire tranquille.
C'est la toute première fois que je regarde quelqu'un sourire en dormant.
Lettre ouverte
Cher France-Inter, cher 7/9, cher Stéphane Paoli, cher Patrick Roger.
Ce matin en écoutant votre journal de 8 heures, j'ai failli me couper une oreille en me rasant. Non, cette nouvelle n'est pas à mettre à la une de vos chroniques de demain, mais j'aimerais attirer votre attention sur un des reportages, celui précisément qui évoquait l'hommage rendu à Sohane brûlée vive il y a trois ans dans sa cité par un jeune con meurtrier de 19 ans. Dans votre reportage on évoquait la pose d'une plaque comportant la mention " brûlée vive " qui à priori dérangeait quelques personnes. Et pour illustrer ces propos, une séquence dans laquelle on entend quelque chose qui ressemble à "tout le monde il en a des morts tous les jours, et c'est pas parce qu'elle a cramée vif qu'on va pleurer sur elle", tirade magnifique déclamée avec l'accent "ta_mère_tu_kiffes_graves_kôôa" en vogue dans les banlieues.
C'est là que j'ai failli y laisser mon oreille.
Mais c'est surtout là que je me suis interrogé sur les raisons profondes qui vous ont motivées à passer à l'antenne ce ramassis de dégueulis haineux et stupide.
Première explication, ce message est représentatif de la réalité vécue dans cette cité. Par représentatif, j'entends que la majorité des gens de cette cité pense ainsi, peut-être même la majorité des Français. Dans ce cas c'est de l'information, et ça m'inquiète de faire partie de la minorité opposée.
Seconde explication, vous vouliez mettre en relief qu'il existait dans cette cité, dans les autres cités, ou encore ailleurs en France un certain nombre d'énergumènes qui revendiquent ces actes barbares, les approuvent ou encore les trouvent normaux, voire insignifiants. Dans ce cas, pourquoi leur prêtez vous votre micro et diffusez vous leur "bonne parole" ? Je me souviens d'une époque ou France Inter avait décidé de boycotter Le Pen suite à ses dérapages verbaux, pour ne pas donner de tribune à la haine. Pourquoi le faites vous aujourd'hui avec les crétins des cités ?
Troisième explication, la provocation. Il est certain que la haine appelle la haine, et c'est ce qui s'est passé pour moi ce matin. D'entendre cet abruti décervelé me cracher à la gueule sa haine dans le huis clos de ma salle de bain a provoqué chez moi un bouillonnement de violence, et une fraction de seconde j'ai rêvé de pouvoir mettre la main sur ce pauvre gars et lui passer les pieds au chalumeau. Est-ce le but recherché ?
Si je peux me permettre une petite réflexion sur le métier de journaliste, il me semblait que votre rôle était d'informer, ce qui pour moi passe par un filtrage de l'information que vous diffusez. Filtrage, vérification, explications. Peut-être aviez-vous une bonne raison de diffuser cette "interview" ce matin. Dans ce cas là, donnez là.
Bien cordialement.
Ca y est...
... c'est plus fermé.
Je vous dirais pas que ça a failli fermer définitif, mais bon, on se reprend doucement.
Quoi pourquoi ? Ben trop, trop de tout, de boulot, ou plutôt de pression, de stress et de doutes.
Alors avec deux semaines et des poussières de retard, je déclare le blog réouvert, mais convalescent. Une note par ci par là m'a dit le docteur, faut pas vous fatiguer.
Merci en tout cas pour vos petits mots. M'en veuillez pas si je fais la grêve des commentaires chez vous. Je vous lis mais je fais le mort. C'est une ruse de guerre.
Bises aux dames, bonjour aux messieurs. Je ne vous promets pas que j'arriverai à répondre à mon courrier en retard.
Fermé...
Fermé pour causes de congés.
Réouverture probable vers le 12 Septembre.
D'ici là, et bien, portez vous bien !
Pistonné
Le week-end dernier j'ai été pistonné.
Je n'aime pas du tout ça, les passe droits et autres faveurs, mais pour
ça je ne pouvais pas refuser. On avait rendez-vous devant la cafet' à
16h45. Je repère les pilotes qui arrivent, je me dirige vers eux et je
me présente. Sourire de bienvenue, et la question qui tue :
- Vous avez combien d'heures de vol maintenant ?
- Euh... huit (petit sourire géné).
-
Ah, ça devient intéressant. Vous commencez à avoir certains
automatismes qui vous permettent de mieux profiter du vol.
- Oui, c'est vrai...
- Et vous volez sur quoi ?
- Sur DR400.
- J'en ai quelques heures à mon actif aussi (grand sourire). Le 2+2 ?
- Oui, c'est ça...
- Bien, nous allons préparer le vol, on se retrouve tout à l'heure ?
- OK, comptez sur moi !
Je
les regarde s'éloigner. Je dois avoir ma tête de petit garçon à ce
moment là car V. a un sourire tout tendre. Et le petit garçon, il vient
de discuter avec deux surhommes, deux pilotes professionnels, qui ont
accepté de le prendre à leur bord en cette soirée d'été. L'adulte lui,
il sait bien qu'ils sont contents aussi de montrer leur jouet à un
passionné, et que ce genre de rencontre fait autant plaisir au pilote
qu'au passager. Mais bon, on ne se refait pas.
Quelques temps
plus tard, au milieu des vapeurs de kérosène, dans le bruit des
turbines, je franchis le seuil du A318, dernier passager à monter à
bord. La chef de cabine me fait signe : "Mettez vous là le temps qu'on
termine l'embarquement, vous irez au poste ensuite". Je me faufile
derrière elle, et assiste aux derniers préparatifs. Le chef avion qui
annonce "85 passagers, embarquement terminé !" et qui se dirige vers
le poste de pilotage. Il ressort, suivi du commandant de bord, qui me
sourit et me fait signe d'entrer dans le saint des saints. Je franchis
la porte CREW ONLY. Le captain déverrouille le siège
supplémentaire, espèce de strapontin articulé et monté sur rail qui
coulisse le long de la cloison et m'invite à m'asseoir : "Mettez vous
là, ne verrouillez pas le siège tout de suite, il y a pas mal de
passage ici avant le départ. Attrapez le casque là-bas, comme ça vous
pourrez suivre la radio. En cas de nécessité, les masques à oxygène
sont là, et on sort par là si on doit évacuer, OK ?".
J'acquiesce,
je met le casque, j'écoute, je regarde. Echanges brefs à la radio, avec
le sol, le copi. On sent une grande habitude, mais aussi une grande
rigueur dans tous leurs gestes. La chef de cabine revient en annonçant
"comptage passagers 85 !". "C'est bon répond le captain, on ferme et
on y va !". Encore quelques échanges avec le sol puis : "OK pour le
démarrage du 2". Il se retourne vers moi et me montre la manoeuvre ;
sur l'écran de contrôle je suis le compteur qui indique le taux de
puissance du moteur. Le démarrage est à air comprimé, à 23 % on
injecte le carburant, 160 kg à l'heure, et ça tourne. Il ajoute "au
décollage c'est environ 3 tonnes à l'heure, en croisière 1200 kilos".
Rapide calcul mental : 1200 kilos à l'heure, ça fait 1600 litres
environ, pour 100 passagers à 800 km/h, ça fait une consommation de 2
litres au 100 par passagers. Moins qu'une mobylette.
Et un peu plus rapide surtout !
Push-back,
démarrage du second moteur, et roulage. Je retrouve les essais qu'on
fait nous aussi sur DR. Les freins, les instruments, les commandes sont
testés. Pas d'attente au décollage, alignement dans la foulée du
roulage, et décollage sans s'arrêter. Mugissement des moteurs. Passage
des cent noeuds, et le mot magique : "Rotation !" aux environs de 150
noeuds (270 km/h, quand même !). Cette vitesse de folie est atteinte en
à peine plus de 30 secondes. L'appareil se cabre, rentrée du train,
quelques contrôles, un peu de radio, pilote automatique. Le captain se
détache et se tourne vers moi : "C'est bon, c'est fini pour l'instant.
On reprendra le manche en descente. C'est ça qui est un peu frustrant
dans notre métier, c'est que finalement, on ne pilote plus vraiment. On
surveille la machine, et on intervient si nécessaire". Le copilote
reste face aux instruments et dis parfois quelques mots à la radio. De temps
en temps il tend le bras, pousse un bouton, contrôle une vue sur les
écrans LCD. "Heureusement, il reste la beauté du métier. C'est
vraiment le plus beau bureau du monde". Je regarde à l'extérieur. Nous
sommes aux environs de 9 000 mètres d'altitude, il y a une légère brume
qui masque le sol. Des bancs de nuage, comme des couvertures de coton
hydrophile sont éparpillés ça et là. C'est beau, qu'est ce que c'est
beau !
La croisière est courte, nous n'allons pas loin. Pendant
ces quelques minutes, le commandant de bord me montre quelques
instruments, quelques organes de sécurité, les circuits triplées. Tout est fait pour que la sécurité soit maximale. Très
pédagogue, il m'explique les systèmes, les modes de fonctionnement. Je
n'ai pas assez d'yeux ni d'oreilles. Puis vient le moment de la
descente, et de l'atterrissage. Superbe plan de descente, freinage
hyper puissant, taxiway, parking. Pendant l'escale, je reste à bord.
Encore un privilège. Ménage, carburant etc... Embarquement des
passagers pour le retour, je retourne sur mon strapontin, et de nouveau
assiste aux préparatifs, au roulage, au décollage.
Dans l'axe de
la piste, une couche nuageuse. Nous avons décollé quelques minutes
auparavant et franchissons 9000 pieds. "Ca va être magnifique ça... On
va commencer le virage juste en entrant dans les nuages..." L'avion
commence à pencher vers la gauche, nous entrons dans la ouate
nuageuse alors que l'appareil continue à s'incliner. Pendant quelques
secondes nous ne voyons rien. Je regarde l'horizon artificiel qui
pivote doucement sur la gauche, et nous émergeons de la couche. Par le
pare brise, tous les trois, nous regardons le spectacle magnifique qui
s'offre à nous.
Le voyage de retour se déroule comme l'aller. Le soleil se couche derrière nous, notre arrivée se fera au crépuscule. Une fois au sol, le captain me dit : "Si je dois vous donner un conseil, ce sera celui là : prenez du plaisir à piloter, mais n'hésitez jamais à faire demi-tour, ou à renoncer à partir, que ce soit à cause de la météo, de l'état de l'avion, ou même si vous êtes simplement fatigué. Un bon pilote est un pilote vivant". Nous nous serrons la main, et il s'éloigne dans son uniforme bleu nuit, avec ses quatre galons dorés, sa casquette et sa valise.