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Décrochage
24 novembre 2004

Décrochage

Ahmed nous informe que nous allons réellement entrer dans le désert ce matin là. Il connaît bien le circuit que nous allons faire, sauf le dernier jour, où là c'est le chef des chameliers qui nous guidera. Ce matin une femme est arrivée, venant de nulle part est s'est installée près de notre campement, étalant à terre un tissus sur lequel elle dépose quelques objets artisanaux. Si nous voulons acheter quelque chose, c'est le moment. Ensuite, nous ne croiserons plus personne avant notre retour en ville dans cinq jours.


La nuit dernière a été bonne. Il faisait plus frais, et V. et moi avons passé un bon moment à regarder le ciel dans lequel perçaient quelques étoiles. La lune était pleine, dommage, nous ne pourrons pas voir la voie lactée. L'atmosphère très sèche nous aurait permis de distinguer clairement les millions d'étoiles qui la forment.

Je redoute un peu la marche qui m'attend aujourd'hui. Je sens que je cerne un peu mieux ce qui me pèse dans ma vie aujourd'hui. Je ne prends pas de plaisir à vivre et je ne prends pas soin de mon plaisir de vivre. Ce qui devrait être un plaisir, une distraction, devient immanquablement une corvée. Par exemple, aller au cinéma m'empêche de préparer notre budget pour la restauration de la maison, qui m'empêche de prendre du temps pour écrire, qui me mange du temps que je pourrais consacrer à reprendre sérieusement la course à pieds, qui empiète sur le temps que je voudrais pouvoir passer avec ma femme, sans compter que j'aimerais vraiment pouvoir me reposer et consacrer du temps à faire de la photo, entretenir les liens amicaux, partir en voyage, m'occuper du dossier d'adoption, brosser le chat, faire la bouffe et cirer mes godasses. Et accessoirement... de bosser.

Devant ces montagnes d'activités qui se profilent pour mes cinquante ans à venir, je baisse les bras, et finalement, je ne fais rien. Ou le minimum. Comme aller travailler. Et derrière, je me déteste. Je me déteste de cette fainéantise, de ce manque de courage qui me laisse immobile. Et quand quelque chose de vraiment important, de crucial, d'inévitable se présente, je le fais à toute vitesse, dans l'urgence, la veille, parfois le lendemain, en me morigénant de cette manière de fonctionner.

Et si je ne faisais pas tout ça ? Et si, dans tout ça, je ne retenais que ce qui est important ? Si je me donnais le choix de faire les choses avec plaisir quitte à ne pas tout faire, plutôt qu'essayer de tout faire, mal, vite et sans plaisir ?

Et si j'étais dans le présent, dans mon présent, à aimer ce que je fais, plutôt qu'à courir après un bonheur futur que je ne trouverai jamais ?

Et si je faisais des choix. Maintenant, là, aujourd'hui, au cours de cette marche ?

Et si je laissais tomber ce perfectionnisme qui me pourrit la vie ? Je ne serai jamais tout ce que j'ai pu rêver d'être. Et je n'ai pas besoin d'être parfait pour qu'on m'aime, ni même pour que je m'aime.

La marche a commencé. Ces marches se ressemblent toutes. Le paysage change, mais la chaleur est toujours écrasante, l'environnement essentiellement minéral, hostile, immobile, beau. Beau comme la mort. Attirant comme elle. Nous traversons un bout de désert. Notre désert. Notre désert intérieur. Et c'est là qu'il faut remettre de la vie.

C'est au cours de cette marche que j'ai décroché.

 

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