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Décrochage
25 novembre 2004

Les gerboises

Derrière une dune, une autre dune. Au loin un piton rocheux. Parfois un acacia, ou un troupeau de chèvres accompagné de son berger. Nous marchons, nous reposons, déjeunons, travaillons, puis goûtons, puis discutons, puis dînons, puis dormons. Parfois un petit évènement vient bousculer la routine. Comme cette soirée où plein ouest le soleil rougeoyait avant de se coucher, et plein est la lune toute ronde se levait. Le lendemain le prodige ne se reproduit pas. Le soleil était déjà couché quand la lune se levait. Mais une surprise nous attendait.

Dormir sur le sable n'est pas très confortable. Toujours une bosse mal placée, un petit vent malin qui nous bombarde de sable, un membre du groupe qui ronfle. Et cette lune, qui nous éclaire comme un phare. Et un peu d'inquiétude aussi. Et nos vieux réflexes de mammifères supérieurs se remettent en marche. Dormir d'un oeil, comme les chats. Se réveiller au moindre grattement, au moindre changement de densité de l'atmosphère, sentir C. qui s'approche pour nous réveiller le matin avant même de l'entendre.

Bref, pour la énième fois de la nuit, j'ouvre les yeux, et aperçois  au dessus de moi la voie lactée. Des milliers de milliers de points lumineux. Il fait noir, vraiment noir, ce qui me permet pour la première fois d'apercevoir ce ciel magnifique.

Mais où est passée la lune ?

La question m'a traversé l'esprit presque avec inquiétude. Je regarde l'heure, pas encore quatre heures, trop tôt pour qu'elle soit couchée. Au dessus de moi, je distingue des nuages d'étoiles. C'est magnifique. Comme un nuage de lait versé dans l'encre du ciel. Je relève un peu la tête. Vers l'ouest, les étoiles sont moins visibles et le ciel est rougeâtre. Peu a peu, un arc brun rouge apparaît. Doucement, le disque sombre qui masquait la lune s'écarte.

Une éclipse de lune ! Quel cadeau magnifique. Admirer la voie lactée et assister à ce spectacle grandiose, de cette lune rousse qui se dévoile doucement en s'éclaircissant.

Le lendemain au petit déjeuner, nous ne parlions que de ça. Tout le monde l'avait vue. Tout le monde avait senti cette arrivée de l'obscurité, avait ouvert les yeux et cherché la lune.

Et nous continuons de marcher. Ce n'est pas pénible. Nous nous sommes habitué à la chaleur qui d'autre part a baissée. Elle n'excède guère 35° C à l'ombre au plus fort du cagnard. Ce qui commence à nous manquer sérieusement c'est une bonne douche. L'eau ici est trop précieuse pour la gâcher à se laver. Et les lingettes pour bébé ont leurs limites. La marche est devenu un moment agréable où nous nous retrouvons avec nous même. Il m'a fallu un peu de temps pour admettre que ce voyage exceptionnel j'avais le droit de le vivre à plein, que je pouvais oublier tout le reste, que ce présent ne se renouvellera plus jamais. Et c'est donc avec plein d'entrain que j'ai débuté la seconde moitié de la semaine.

Les paysages sont grandioses. Rien, rien, que du sable, de la pierre, et soudain de la vie. On aperçoit parfois une buse au loin. Des gerboises qui décampent à notre approche, des oiseaux, genres de moineaux maigrichons au plumage très pâle ou jaunâtre, qui sautillent près du campement, les ailes écartées du corps pour se protéger de la chaleur. Quelques insectes. Des criquets pèlerins, des coléoptères et même des moustiques !

Au milieu de rien, on trouve un amas de bois mort. Presque mort. Trois feuilles résistent aux éléments. Ahmed nous explique que la région a été noyée sous des trombes d'eau l'an dernier, au point que certaines parties du désert étaient inondées. Un comble ! Pendant cinq semaines, la pluie drue n'a pas cessée. Le désert s'est couvert de végétation, l'eau s'est infiltrée dans le sable et tous les buissons que nous croisons vont pomper dans ces réserves souterraines l'eau de leur survie. Et cette profusion de végétaux a engendré la profusion des criquets pèlerins. Ils se sont reproduits par millions, et dévoré tout ce qui leur tombait sous les mandibules. Une fois l'endroit ravagé, ils se laissaient porter plus loin pour assouvir leur appétit et continuer de se reproduire.

Ahmed, fataliste, nous explique que certaines journées ils ne voyaient même plus le soleil tant le nuage de bestioles était épais. Avec les moyens du bord, ils ont lutté. Brûler des pneus dégage une fumée qui fait fuir les insectes. Parfois brûler les cultures, qui de toutes façons étaient condamnées, mais au moins, les larves ne se développeraient pas. Et attendre. Attendre l'aide d'urgence de l'état, de la communauté internationale, et tenter de remettre en culture les parcelles dévastées.

Il n'y a pas eu de famine, pas de morts. La communauté est forte. Chacun a sa place, mais chacun a besoin de l'autre.

Et dans ce désert plein de vie, nous avons fait connaissance avec les gerboises. Ces intrépides petites souris munies de pattes de kangourou s'approchent sans vergogne de nous pour peu que nous ne nous agitions pas. Certains arrivent même à les caresser et distribuent quelques miettes de pain.

C'est beaucoup moins drôle la nuit. Passé les premiers fous rire quand ces idiotes prennent le duvet pour une piste de danse et nous gambadent joyeusement dessus, nous finissons presque angoissés car ces bestioles sont également mortes de faim, et quand des festins ambulants de plusieurs dizaines de kilos de barbaque alléchante viennent s'allonger benoîtement à la porte de leur terrier, la curée n'est pas loin.

Ca commence bêtement. On s'endort, un bras nu négligemment laissé à l'extérieur du duvet, et on se réveille d'un bond à cause d'une douleur fulgurante au niveau du coude. Les gerboises sont des rongeurs. Et donc... elles rongent. Et c'est pas agréable de se faire arracher des lambeaux de peau, même par des kangourous miniatures de quelques grammes.

Je passe les différentes stratégies : rentrer les coudes dans le duvet. Oui mais là, c'est le visage qui reste dehors, et personnellement, je préfère me faire prélever 3 grammes de bras que de nez. Après tout, elles ne sont pas gigantesques, elles ne vont pas me bouffer complètement. Avec un bout de barbaque, elles vont se remplir l'estomac pendant huit jours au moins. Oui mais non, c'est pas agréable.

Ensuite, il y a eu les tentatives de représailles. Quand un petit museau s'approchait à moins de deux mètres, une gourde, une godasse, un paquet de lingette volait vers lui.

Inefficace.

Et si je leur mettais à bouffer un peu plus loin ? Bon, les biscuits c'est sympa, mais de la bonne peau humaine c'est quand même autre chose non ?

Bon, donc les coudes sous le duvet, le chèche sur la tête, avec juste un espace pour respirer.

Evidemment, quelques minutes plus tard je rouvre les yeux pour trouver face à moi les deux billes noires du regard du monstre de 10 grammes, que dans un courage magnifique je tente d'aplatir d'un revers de main. Raté, bien sûr.

Alors commence la longue errance. Je cherche un endroit loin de tout terrier en tirant ma natte, mon matelas, mon sac, ma gourde, mes pompes. Il est une heure du matin, et rassuré je vois au loin une lampe de poche qui se promène aussi. C'est un de mes congénères bipèdes aux prises également avec un de ces diables poilus et bondissants.

Le lendemain, Ahmed en rigolant nous explique que les gerboises ne s'éloignent jamais de plus de cinq mètres de leur terrier. « Il faut donc bien choisir l'emplacement, sinon, des fois, elles mordent » dit-il...

Bilan des opérations : le bout de mon pouce est à vif, il me manque un morceau de peau sur le coude et sur le majeur, ainsi que deux heures de sommeil. A un autre, c'est l'extrémité du nez qui a pris.

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Commentaires
D
commentaire surement suivi d'autres...<br /> à bientôt!
P
Cherche pas... c'est ma contradiction qui en est à l'origine...<br /> <br /> J'écris d'abord pour moi, pour me souvenir de ce voyage. J'évite de laisser l'URL du site partout, mais le hasard amène quelques lecteurs, et le premier commentaire.<br /> <br /> Et finalement, même en écrivant pour moi, j'aime savoir qu'on m'a lu, et qu'on a aprécié...<br /> <br /> <br /> <br />
D
cela me parrait d'autant plus curieux... ton blog est instructif, documenté, très intéressant, en somme.<br /> Comprend pas.
P
Oui, merci.<br /> C'était le premier commentaire de ce blog ;)<br /> <br />
D
excellent le passage "face à face avec le monstre du désert".<br /> Qui aurait pu croire qu'une gerboise pouvait être aussi terrifiante!
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