Ermitage
Le week-end dernier, j'ai succombé à un plaisir rare mais intense.
Rien de scabreux, ni d'inaccessible. Juste quelques moments... mais laissez moi vous raconter.
Le week-end dernier, pas d'avion. L'instructeur n'était pas disponible.
Pas de femme non plus, mais pour la bonne cause, elle travaillait.
Pas de chat non plus. Il était resté à l'appartement.
Le
Pitch lui, il a pris sa petite auto, direction sa campagne. Après une
heure et quelques poussières de route, il s'est arrêté au supermarché
du coin, et acheté tout le ravitaillement nécessaire pour ses deux
journées. Puis, dix minutes plus tard, il s'est garé dans son petit
paradis.
Là, pas d'internet, pas de mail, pas de blog.
Là,
pas de téléphone. Le fixe n'y sera pas connecté avant plusieurs mois,
le mobile ne passe pas. Ici l'expression " je vais téléphoner " prend
toute sa saveur ; c'est un quart d'heure d'escalade de la colline avant
d'espérer avoir un petit signal tout faiblard et fuyant sur son
portable. Ou alors, 10 km de voiture.
Là, pas de voisins. Ou si peu. Un salut de loin, et c'est tout bon.
Là pas de courrier : il n'y a pas de boite aux lettres.
Là,
le Pitch, il a fait l'ermite. Il a retrouvé le silence. Le silence de "je ne parle à personne, il n'y a personne ". Le silence de la vie. Un
lézard qui file entre deux pierres, un rouge-queue qui tac-tac, une
vache qui meugle au loin, un busard qui crie loin au dessus de la
tête...
Là le Pitch il enlève sa montre. Il mange quand il a faim, s'endort quand il est fatigué, se réveille quand il est en forme.
Là le Pitch il se lave quand il se sent sale, dort sur un matelas par terre, mange avec les doigts si ça lui chante.
Là le Pitch il chante à tue-tête, ou reste assis à méditer devant le paysage à couper le souffle qui lui sert de salle-à-manger.
Quand
j'étais petit, enfin, ado disons, je voulais quitter ce monde. Pas
disparaître, non, vivre en marge. Et j'étais tombé sur un article
fascinant qui parlait des gardiens de phare au large du Chili, quelque
part vers la Terre de Feu. Seul au milieu des éléments, personne
autour, libre dans sa prison. Mais libre !
Et là, à ma campagne, c'est pareil.
J'ai récupéré des vieux éléments d'une chaîne HI-FI. J'ai rebranché tout ça.
J'ai
ressuscité de vieux CD, et sous l'assaut des guitares j'ai vibré sur
Dust in the wind, Riders on the storm ou Even in the quietest moments.
Il
y avait aussi Suzane, Roxane ou Aurelia. Il y avait toutes ces musiques
dont ma mémoire connaît le moindre accord, et qui pour revivre
pleinement demandent ce cadre si particulier.
J'ai récupéré de
vieilles pierres, décaissé un terrain en pente exposé plein Sud, monté
un muret de soutènement, et installé là ma douche sauvage.
J'ai dévoré des ventrées de framboises, de groseilles charnues qui éclatent entre les dents, de prunes bleues.
J'ai regardé s'ouvrir les fleurs de courges, pousser les melons, ramassé les échalotes.
J'ai fait la sieste à onze heures le matin. Puis à quinze heures.
J'ai
rêvé allongé sous le noyer en écoutant vrombir les mouches à mobylette
qui vous passe à toute vitesse au ras du pif dans un bruit de moteur 2
temps sans échappement et évitent de justesse le mur de la grange.
J'ai mangé à même le plat, bu à même la canette, mangé le dessert avant l'entrée, comme ça venait, comme j'en avais envie.
Je n'ai pas vu un être humain de 48 heures.
J'étais avec moi, moi, et moi.
Sans personne d'autre, sans règles, à écouter mes besoins et mes désirs.