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Décrochage
25 novembre 2004

Dernier jour

J'ai parfois attendu avec impatience ce moment au cours de cette semaine. Je ne vous ai pas raconté, mais parfois j'ai craqué. Parfois j'en ai eu marre, de ce sable, de cette prison ouverte, de la promiscuité. Imaginez, seize personnes au milieu de dizaines de kilomètres carrés inhabités, obligés de se regrouper sous un acacia rachitique ou sous une tente cocotte-minute. Manque de confort aussi. Assis à terre, toujours, mes articulations hurlent de douleur et appellent une chaise de toute urgence. Et puis, et puis bien sûr, la peur face à ce que j'ai trouvé ici. Face à ces souvenirs, face à ces émotions. La peur de ce retour aussi. Comment ma vie va-t-elle évoluer après cette semaine d'immersion face... à moi ?

Bref, juste avant mon décrochage, j'ai espéré ce moment. Et là, maintenant, en regardant les 4x4 déraper sur les dunes, en regardant ce camp, j'ai presque envie de pleurer. Je me gave d'horizon. Les appareils photo crépitent, tout le monde veut son souvenir avant le départ.

Quelques heures plus tard, à l'aéroport. Ahmed très digne nous serre la main de loin, mais ses yeux sont humides. Il viendra en France, Inch Allah, un jour, sûrement.

Quelques heures encore, et nous amorçons la descente sur Roissy. Je termine ma bière, bien fraîche, et échange un sourire complice avec une copine qui finit la sienne aussi. Retour à la civilisation, et à ses petits plaisirs. Après une semaine d'eau chaude et douteuse, la bière a un parfum de luxe.

Encore un peu de temps, nous partageons le tapis à bagage avec un vol de retour de Londres. J'ai oublié de sortir une veste avant d'embarquer, et je suis donc, en plein novembre en tee-shirt, pas rasé ni lavé depuis une semaine, le chèche en vrac autour du cou, le cheveu en bataille, raide de sable. Je me suis éloigné du groupe. Je n'aime pas les au revoir. Un honorable père de famille m'envoie sa valise dans les jambes en la soulevant, pendant que sa fille d'une vingtaine d'années, pomponnée comme une vendeuse des Galeries Farfouillette, me regarde effarée comme si je sortais d'une poubelle.

Je la comprends la pauvrette, et lui adresse un bonsoir mademoiselle agrémenté d'un superbe sourire, et m'amuse de la voir s'enfuir près de papa et maman.

Les sacs arrivent. Quelques bises, des à bientôt, quelques larmes et des sourires. Il est 22h30, il nous reste 500 km à faire en voiture pour retrouver notre chez-nous.

Vers une heure du matin, nous nous arrêtons dans un hôtel sur la route. Première douche depuis huit jours. Le jus est couleur chocolat, le shampoing refuse de mousser. Le savon aussi fait la gueule. Allongé dans des draps propres, au dessus de moi un plafond crépi un peu passé. Fini la lune, les étoiles filantes, le sable.

Le lendemain, petit déjeuner. Je me jette sur la charcuterie, le fromage, les viennoiseries. Je suis un gourmand, et je peux même me goinfrer si je veux. S'il y avait eu du cassoulet, j'aurais apprécié. En voyage, c'est toujours la bouffe qui me manque le plus. Surtout le fromage, et le pain.

Nous reprenons la route. De l'eau tombe du ciel. C'est étrange...

Encore quelques heures, notre appartement, la chatte gentiment nourrie par les voisins. Elle s'est bien amusée avec les plantes, il y a de la terre partout. C'est étonnant un sol en terre battue au premier étage non ?

La minette renifle nos sacs, peut être reste-t-il un remugle de gerboise ? La prochaine fois je t'emmène, et la panique changera de camp.

Et nous nous réinstallons dans la vie, la notre. Lessive, rangement, courrier, repassage, travail.

Mais nous ne sommes plus les même. J'ai laissé là-bas une enclume qui me pesait sur la tête depuis trop longtemps.

J'ai fait des choix. Des choix dans mes projets. Je ne sais pas très bien ce que je serais, plus tard, bientôt. Mais je sais maintenant ce que je ne serais pas. J'ai un peu les boules.

Si, si. C'est vrai.

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Commentaires
D
une semaine c'est court...incroyable comme cette brieveté semble avoir à jamais modifier le cours tranquille de ta vie.
Décrochage
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