Dernier jour
J'ai parfois
attendu avec impatience ce moment au cours de cette semaine. Je ne vous
ai pas raconté, mais parfois j'ai craqué. Parfois j'en ai eu marre, de
ce sable, de cette prison ouverte, de la promiscuité. Imaginez, seize
personnes au milieu de dizaines de kilomètres carrés inhabités, obligés
de se regrouper sous un acacia rachitique ou sous une tente
cocotte-minute. Manque de confort aussi. Assis à terre, toujours, mes
articulations hurlent de douleur et appellent une chaise de toute
urgence. Et puis, et puis bien sûr, la peur face à ce que j'ai trouvé
ici. Face à ces souvenirs, face à ces émotions. La peur de ce retour
aussi. Comment ma vie va-t-elle évoluer après cette semaine d'immersion
face... à moi ?
Bref,
juste avant mon décrochage, j'ai espéré ce moment. Et là, maintenant,
en regardant les 4x4 déraper sur les dunes, en regardant ce camp, j'ai
presque envie de pleurer. Je me gave d'horizon. Les appareils photo
crépitent, tout le monde veut son souvenir avant le départ.
Quelques
heures plus tard, à l'aéroport. Ahmed très digne nous serre la main de
loin, mais ses yeux sont humides. Il viendra en France, Inch Allah, un
jour, sûrement.
Quelques
heures encore, et nous amorçons la descente sur Roissy. Je termine ma
bière, bien fraîche, et échange un sourire complice avec une copine qui
finit la sienne aussi. Retour à la civilisation, et à ses petits
plaisirs. Après une semaine d'eau chaude et douteuse, la bière a un
parfum de luxe.
Encore
un peu de temps, nous partageons le tapis à bagage avec un vol de
retour de Londres. J'ai oublié de sortir une veste avant d'embarquer,
et je suis donc, en plein novembre en tee-shirt, pas rasé ni lavé
depuis une semaine, le chèche en vrac autour du cou, le cheveu en
bataille, raide de sable. Je me suis éloigné du groupe. Je n'aime pas
les au revoir. Un honorable père de famille m'envoie sa valise dans les
jambes en la soulevant, pendant que sa fille d'une vingtaine d'années,
pomponnée comme une vendeuse des Galeries Farfouillette, me regarde
effarée comme si je sortais d'une poubelle.
Je la comprends la pauvrette, et lui adresse un bonsoir mademoiselle agrémenté d'un superbe sourire, et m'amuse de la voir s'enfuir près de papa et maman.
Les sacs arrivent. Quelques bises, des à bientôt, quelques larmes et des sourires. Il est 22h30, il nous reste 500 km à faire en voiture pour retrouver notre chez-nous.
Vers
une heure du matin, nous nous arrêtons dans un hôtel sur la route.
Première douche depuis huit jours. Le jus est couleur chocolat, le
shampoing refuse de mousser. Le savon aussi fait la gueule. Allongé
dans des draps propres, au dessus de moi un plafond crépi un peu passé.
Fini la lune, les étoiles filantes, le sable.
Le
lendemain, petit déjeuner. Je me jette sur la charcuterie, le fromage,
les viennoiseries. Je suis un gourmand, et je peux même me goinfrer si
je veux. S'il y avait eu du cassoulet, j'aurais apprécié. En voyage,
c'est toujours la bouffe qui me manque le plus. Surtout le fromage, et
le pain.
Nous reprenons la route. De l'eau tombe du ciel. C'est étrange...
Encore
quelques heures, notre appartement, la chatte gentiment nourrie par les
voisins. Elle s'est bien amusée avec les plantes, il y a de la terre
partout. C'est étonnant un sol en terre battue au premier étage
non ?
La
minette renifle nos sacs, peut être reste-t-il un remugle de
gerboise ? La prochaine fois je t'emmène, et la panique changera
de camp.
Et nous nous réinstallons dans la vie, la notre. Lessive, rangement, courrier, repassage, travail.
Mais nous ne sommes plus les même. J'ai laissé là-bas une enclume qui me pesait sur la tête depuis trop longtemps.
J'ai
fait des choix. Des choix dans mes projets. Je ne sais pas très bien ce
que je serais, plus tard, bientôt. Mais je sais maintenant ce que je ne
serais pas. J'ai un peu les boules.
Si, si. C'est vrai.