Les chevaliers du ciel
Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours été attiré par les machines volantes, ou elles par moi, je ne sais pas. La famille ne compte aucun aviateur, mais l'aviation est présente depuis bien longtemps, pas trop loin, très près même.
Mon père avait sept ans quand il a vu Louis Bréguet décoller d'un terrain de son village avec son biplan, le Bréguet I. Un exploit à l'époque. Les pionniers cassaient souvent du bois. Cette même année, Louis Blériot traversait la Manche sur son Blériot XI. Blériot d'ailleurs qui a usé ses manches de chemises sur les mêmes pupitres que moi, mais quelques années avant.
Le Bréguet I sur le terrain de La Brayelle
Gamin, je passais beaucoup de temps sur l'aérodrome du coin, a regarder décoller avions et planeurs. Les grandes pelouses étaient accueillantes pour les pique-niques familiaux, les pistes désaffectées parfaites pour faire du vélo ou du patin à roulette.
Mais ce qui me fascinait, c'était l'autre aérodrome. Militaire celui là. C'était l'époque où Tanguy et Laverdure virevoltaient sur l'écran de notre télévision en noir et blanc à bord de leurs Mirage III. Et cette base militaire était implantée ô bonheur le long d'une route que nous empruntions très souvent. La piste étant perpendiculaire à la route, les jours de chance je pouvais voir, le coeur battant, ces drôles de machines approcher dans un bruit de tonnerre et toucher le sol a quelques dizaines de mètres seulement de moi.
Le clou du spectacle était d'apercevoir l'ouverture du parachute de freinage de l'avion, ou encore, mais très rarement, les exercices de touch and go durant lesquels l'avion touchait la piste et remettait les gaz pour redécoller immédiatement.
Il était bien entendu interdit de s'arrêter aux abords de la base. Mais parfois, je réussissais à persuader ma mère de stopper quelques instants la voiture que je puisse respirer tout mon saoul de kérosène, me faire briser les tympans par les hurlements des moteurs Atar, pour sentir sur ma peau le souffle chaud des machines.
A l'époque, les avions militaires étaient autorisés à passer le mur du son au dessus des zones habitées. C'était généralement en été quand la météo permettait des sorties régulières. Nous entendions le feulement des avions qui approchaient à basse altitude, ils passaient au dessus de la maison à une vitesse extraordinaire et s'éloignaient en prenant de la hauteur. Puis, alors que le silence était revenu, le blam blam ! qui faisait vibrer les vitres et tinter la vaisselle.
Je me ruais alors sur ma mobylette et fonçais comme un dératé à proximité de la base pour apercevoir mes héros.
Malgré ma passion pour l'aérien, je n'ai jamais touché les commandes d'un avion. Les pilotes étaient pour moi des êtres mythiques, des surhommes. Pour ma famille c'étaient surtout des fous qui risquaient leur vie en se prenant pour des oiseaux. Mes parents étaient des êtres raisonnables. Et surtout très angoissés par tout ce qu'ils ne connaissaient pas. L'idée ne m'a donc jamais effleuré de faire de ma passion un métier.
Il n'y a que quelques années j'ai pris conscience de ce loupé. Trop âgé maintenant pour envisager de piloter un avion de ligne, il me reste encore la possibilité de prendre des cours de pilotage sur un avion de tourisme.
Ce qui ne saurait trop tarder je pense...