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Décrochage
12 janvier 2005

Buenos Aires - troisième service

Suite du périple. Après l'Uruguay retour à Buenos Aires pour une promenade en solitaire à travers la ville.


Avantage du décalage horaire dans ce sens, c'est qu'il est extrêmement facile de se lever tôt. Et c'est donc vers 8h30 que je quitte l'hôtel direction la gare de Retiro. J'aime l'ambiance des gares, est-ce pour les avoir tant fréquentées ? Chemin faisant, je croise toute une foule de gens qui se dirigent vers leur travail. Comme dans toutes les capitales, beaucoup utilisent les transports en commun, et c'est donc une foule bigarrée que je croise. Rien d'exceptionnel de ce coté là, hormis qu'aux employés traditionnels se mêlent des hommes poussant des petits chariots ou caddies de supermarchés. Ce sont des cartoneros, les chiffonniers modernes, qui traquent la cannette de métal ou le morceau de carton qu'ils transportent ensuite dans leur chariot jusqu'au récupérateur qui leur achètera leur cargaison.

Ils sont ainsi des milliers, tous les jours à sillonner la capitale pour se faire quelques sous, et apporter aux industries défaillantes de la matière première à travailler pour un bon prix. Tout au long de la journée, je croiserai des gens exerçant une foule de petits métiers. Les plus courants sont les promeneurs de chiens, qui baladent une véritable meute en laisse, ou les cireurs de chaussures.



Ce qui est surprenant pour mes yeux d'européens, c'est la dignité avec laquelle les Argentins continuent à vivre malgré les circonstances. Certains étaient ingénieurs, ils ramassent maintenant des boites de conserve, d'autres étaient médecins, ils sont chauffeurs de taxi. Mais tous le font avec dignité. Pas de misère geignarde ici. Le royaume de la débrouille, certes, mais pas de larmoiements intempestifs, ni de grands discours moralisateurs, ni de chasses aux sorcières. Ils font ce qu'ils peuvent pour continuer vivre sans attendre quoique ce soit des pays étrangers ni même de leur gouvernement. C'est probablement l'énorme différence avec la France, où au moindre problème on se tourne vers l'état pour qu'il le règle. Là-bas, pas d'assistanat ni de pudeur mal placée.

Et c'est donc dans un calme serein que tous ces gens vont travailler. Pas de stress, ils marchent calmement malgré la foule, pas de visages torturés ou anxieux. Je suis bluffé.

Ma promenade me ramène ensuite vers le quartier de Florida, que je connais assez bien. Les noms des rues que je croise font bondir mon cœur dans ma poitrine en me rappellent les premiers pas que j'ai effectué ici il y a quelques années. Voici le croisement que je cherchais : M.T. Alvear y Esmeralda. C'est là que j'ai passé quelques jours avec V. Je reconnais l'empañaderia au coin, l'atmosphère du lieu. Je continue à progresser ; sur Paraguay, je tourne à gauche, direction Florida, le quartier piétonnier chic et commerçant.

J'ai un coup au cœur en y arrivant. Certes la rue est toujours pareille : boutiques de luxe, cinémas, cybercafés côtoient les galeries marchandes et de lieux branchés, mais une foule de jeunes m'y accostent semble-t-il tous les mètres, pour me remettre de petits papiers : ils distribuent des publicités pour les magasins du coin qui proposent de racheter un bon prix bijoux, téléphones portables, lunettes, radios, appareils photos etc... Au bout de quelques mètres, je me retrouve avec des papiers plein les poches, vantant le cybercafé machin ou le bijoutier truc. Ce sont des gamins qui distribuent ces papiers. Ce sont ici les vacances scolaires, et ils sont tous là pour faire gagner quelques sous supplémentaires à la famille.





J'ai un peu soif et m'installe en terrasse d'une confiteria. Je commande un jus d'orange (un vrai, qui sort d'une orange pas d'une bouteille) et le sirote en regardant l'agitation au carrefour. Je me suis un peu éloigné de Florida pour éviter la foule.

Et c'est là que j'ai rencontré Rosetta.

Ou du moins, c'est elle qui m'a apostrophé. Grands yeux presque noirs, cheveux noirs et longs, petits nez retroussé, et un grand sourire qui illumine son visage à la peau mate. Elle porte un petit sac en plastique, duquel elle extrait toute une panoplie de stylos, à encre, à bille, imitation nacre ou bois précieux, même un gros stylo rose qui s'illumine quand on écrit, et dont le capuchon renferme tout le nécessaire pour faire des bulles de savon : para su chica, Señor. Je tente tant bien que mal de lui faire comprendre que je ne veux pas de stylos, et que je ne connais pas de petites filles que le stylo rose pourrait intéresser, le tout en rigolant beaucoup, car intarissable, elle m'a déjà sorti l'agenda 2003, avec la carte d'Argentine, les préfixes téléphoniques, et un mémo pour les adresses.

Je réussis enfin à la faire taire, en lui posant la première question qui me vient à l'esprit : como te llamas ? Une fois son prénom connu, je tentais tant bien que mal de lui expliquer que je ne voulais rien lui acheter, et devant son air contrit, j'ajoutais précipitamment qu'elle était une très bonne vendeuse, qu'elle était très mignonne, et je sortais un billet de dix pesos que je lui fourrais dans la main.

J'aurais bien voulu faire plus. Je ne savais pas quoi. J'avais le cœur serré en la regardant s'éloigner sur l'avenue. Peut-être aurais-je pu lui proposer de manger ou boire quelque chose. Je me sentais mal dans mes chaussures de touriste plein aux as dans ce pays au bord de la misère. Peut-être aurais-je pu discuter un peu avec elle, savoir comment elle vivait. Sa silhouette d'enfant venait de tourner le coin pour remonter Florida. Rosetta devait avoir dix ou douze ans au maximum, mais déjà un baratin de vendeur d'aspirateur.

Je me sentais triste et je décidais de quitter le quartier.

Après un bref passage à l'hôtel, destination le cimetière de La Recoleta, le Père-Lachaise local, où sont enterrés tous les grands dignitaires du pays, militaires, artistes, politiques, capitaines d'industrie. Bref, l'endroit chic où il faut être vu... après sa mort. C'est évidemment là qu'est enterrée Eva Peron (Evita), la pasionaria argentine qui a réussi le tour de force de faire oublier les excès de son putschiste de mari et d'être quasiment élevé au rang de sainte par le peuple argentin.




Comme de leur vivant, les locataires du lieu rivalisent par la magnificence de leur demeure. Des mausolées, des chapelles, des statues. Le tout écrasé par le soleil de plomb. Les artistes se sont donnés à cœur joie, pour décorer les tombes. Des anges, des piétas, des christs, des portraits, des statues équestres, des trônes, en armes ou allongés. Certaines sculptures sont très jolies, d'autres franchement comiques. Je passe néanmoins un bon moment, au milieu de ces ex-grands à l'humilité si petite, et dont les rêves de puissance auront au moins permis de bâtir ce cimetière dont les chapelles servent d'abris aux innombrables chats qui le peuplent.




Je quitte le cimetière, non sans m'être fait accoster par un groupe d'aveugles qui demande un peu d'aide pour l'achat et l'éducation des chiens et qui me remercie en français, par la croix rouge qui sollicite ma bonté pour soigner les enfants malades du SIDA, et par une foule d'anonymes auxquels je ne tente plus de résister. Ici, ce n'est pas le métro parisien avec ses professionnels de la manche, ce sont de braves gens tombés dans la misère, et la scène avec Rosetta m'a suffisamment remué pour que dans la poche arrière de mon pantalon s'entrechoquent toutes les piécettes que je distribue au cours de ma promenade.

Je longe maintenant les parcs gigantesques qui longent le fleuve en direction du nord. Ici, partout sur les pelouses, des filles an bikini prennent le soleil. C'est surprenant de voir ainsi un parc situé en centre ville se transformer en solarium. Les belles demoiselles ne risquent rien. Car, omniprésente, la police veille. A pieds, en voiture, en moto, en quad et même à cheval, les agents sillonnent les quartiers chics pour protéger les quelques bienheureux qui peuvent encore y habiter. Avec le début de la crise, l'Argentine a également fait connaissance avec une explosion de criminalité, sévèrement réprimée. La situation est maintenant calme, enfin, partout où la police est nombreuse.





J'ai chaud et je fatigue. Une halte au frais est donc la bienvenue, et en l'occurrence, c'est le musée des beaux-arts de Buenos Aires. Climatisé, pourvu de sièges pour admirer les œuvres, et... gratuit ! Et oui, il existe encore des endroits où l'accès à la culture n'est pas réservé à ceux qui peuvent y mettre le prix. Quelques belles pièces, tant en peinture (Manet, Van Eycke, Modigliani), qu'en sculpture (Rodin en particulier), mais aussi une impressionnante galerie d'art moderne, contenant les œuvres d'artistes argentins pour la plupart.




 

La journée avance, je remonte donc vers l'hôtel. Ce soir nous avons prévu un spectacle de tango. Buenos Aires sans tango ne serait pas Buenos Aires.

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Commentaires
D
y a -t-il une autre façon de voyager?
B
C'est agréable de voyager avec toi !
P
Il y a touristes et touristes.<br /> <br /> Tu peux aller au bout du monde, dans un pays ayant d'autres coutumes, d'autres moeurs, une autre cuisine, un autre art de vivre, et rester cloitré dans ton hôtel-club-piscine-sauna-dancing.<br /> <br /> Nous préférons nous méler aux locaux, quitte parfois à faire un gros effort d'adaptation pour les respecter.
M
Quel talent de narrateur ... on attend la suite avec impatience. <br /> <br /> Par contre, envie et malaise. Comment font ces touristes qui restent plantés devant la piscine de leur hôtel de peur d'être confrontés à la différence ? <br /> <br /> Que peut-on faire pour Rosetta et les autres ? <br /> Je viens d'entendre aux infos : il y aura un fonds "Rickie", créé à l'initiative de Rickie Martin, en Asie du Sud-est. On n'arrête pas le progrès ! <br /> <br /> Merci encore cher citoyen du monde !<br /> Bises
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